top of page
vigtete03b.jpg
baguettess.jpg
txt.jpg
detoured.jpg

Une magicienne discrète et très douée,
un ermite taciturne qui paie rubis sur l'ongle
et un monstre sorti tout droit des enfers.
Crânes, squelettes et têtes de mort.

Croque-mitaine

Il y a bien longtemps, dans les hauteurs du Forez
vivait un vieil olibrius connu sous le nom d'Andréas.
Nul ne saurait lui donner un âge tant le creux
de ses rides contraste a
vec son visage d'enfant.
L'œil est bleu sans l'ombre d'un sourcil
et son regard hagard est parfois déroutant.
Il est un de ces magiciens du clair-obscur
qui navigue toujours entre le réel et l'irréel.
Les yeux rivés au ciel un jour et volubiles un autre.
Ce qui lui vaut la réputation d'être fort distrait.
Occupant un ancien manoir perché sur une falaise
accroché de guingois au bord du vide,
il exerce en secret ses talents de maître sorcier.
Il n'est pas rare d'observer certaines nuits de lune
jeunes et vieilles femmes à cheval sur des balais
se suivant l'une l'autre dans une ronde effrénée.
C'est dire si l'endroit est accueillant ...
C'est un repère de chauves-souris qui nichent
dans les failles et fentes des corniches.
L'endroit est lugubre, surtout l'hiver.
Un jour de janvier alors que la neige tombe
blanche et incolore, Andréas sort de chez lui,
enfile sa capeline et s'enfonce dans le froid.
Il s'en va à travers la forêt des hauts plateaux
rejoindre Dame Blanche pour un rendez-vous secret.
Blanche est une artiste, une artisane singulière :
Tout ce qu'elle touche s'anime, devient vivant,
changeant de forme, d'aspect ou de couleur.
Nombreux sont ceux qui la côtoient
mais peu la connaissent vraiment.
Lors d'une rencontre entre amis, confrères
et consœurs, il y a de ça le temps d'un automne,
Andréas l'invita à réaliser de ses mains
une baguette qui sera, de fait, vraiment magique.
Blanche lui demanda bon prix et la pinte fut bue.
Concernant l'essence du bois et la sculpture
Andréas pensait à du noisetier ou du tilleul
mais pour ce qui est de la ciselure,
quelque chose qui conviendrait à son goût,
à son étrange façon de considérer l'existence,
bref, quelque de chose qui illustre la mort
avec tout son décorum de crânes et squelettes.
Blanche qui connaît bien son côté morbide
sait qu'au fond, derrière ses rides centenaires
se cache un éternel émerveillé, un ingénu,
un enfant qu'une fleur fait pleurer...
Mais, revenons un moment aux confins de la forêt.
La neige valse à gros flocons, l'air est silencieux
et il ne faudra pas longtemps, à peine une heure
pour que ses pas ne soient totalement effacés.
Trois curieuses corneilles le suivent d'arbre en arbre
et leurs croassements saccadés qui résonnent au loin
ajoutent à ce tableau une touche fantasque.
Imaginez l'instant avec l'œil d'un Brueghel...
Arrivé au seuil de sa porte, tout en tirant sur la sonnette,
Andréas pense que l'instrument devrait être achevé
et que, si la magie le décide, il en prendra possession.
Au timbre du carillon, Blanche apparaît lumineuse
dans une robe tissée de laine et de lin blanc,
un châle sur l'épaule et chaussée de galoches.
Elle est rousse, coiffée en cascade, les yeux verts
et ses taches de rousseur lui donnent un air éthéré.
Le temps pour Andréas de secouer la neige,
déposer sa cape et s'approcher du feu
que Blanche l'invite déjà à la suivre dans l'arrière-cour.
L'instrument est là, posé au fond de l'atelier
entre les ciseaux à bois, la sciure et la poussière.
Blanche lui dit que c'est du "Croque-mitaine"
que provient le charme et qu'il faudra être prudent.
Comme on le dit à voix basse dans nos contrées,
c'est une créature malfaisante, une bête des enfers
qui tourmente l'homme et le précipite dans l'abîme.
À l'heure des fantômes, des ombres lunaires
le Croque-mitaine vient hanter les cimetières
espérant y trouver de quoi se nourrir d'âmes mortes.
Sur son passage, les feux follets s'embrasent,
illuminant les tombes et les chrysanthèmes.
Cette anecdote étonnante devint au fil des temps
une fable provinciale, une histoire à faire peur
que les gens du village se racontent à la veillée.
Le folklore veut qu'au deuxième jour de septembre,
à l'heure lunaire, une procession improbable
traverse le bourg et se rende au cimetière.
Aucun des villageois ne redoute le Croque-mitaine
mais tous viennent ici fouler les feuilles mortes
pour voir la danse des feux follets.
- C'est une légende, dit-elle sur un ton enjoué.
- J'ai trouvé le nom équivoque et l'esprit de la sculpture
devrait te convenir, toi et tes idées noires,
conclut-elle à mi-voix, comme une gentille boutade.
Le souffle court, un léger rictus au coin de la bouche,
Andréas observe l'instrument minutieusement,
d'un côté, de l'autre et de bout en bout.
De sa besace, il tire enfin une bourse ronde, l'ouvre
et en sort poignées d'écus d'or et pièces d'argent.
Andréas range l'ustensile dans un long coffret,
reste boire le vin chaud, trois verres s'il vous plaît,
et reprend, cœur au ventre, le chemin de l'ermitage.
Mais voilà.
Un jour qu'il prenait l'air au bord du gouffre
taciturne et silencieux comme à son habitude,
il planta l'instrument, pointe dans la neige
en aspirant en lui-même qu'elle devienne noire...
À peine le temps de faire demi-tour
qu'une tache sombre s'étala à ses pieds,
se répandant de secondes en secondes
jusqu'à dépasser le mur, puis la lisière du bois.
De gris foncé, la neige devint noire.
Noire et scintillante, noir d'ivoire.
Mais, ce qu'il n'avait pas prévu,
c'est que la couleur se propageant de la sorte
envahit la forêt, les champs et les pâtures
et finit par atteindre les villages voisins...
De quoi écrire une autre légende.

Âme : diamant noir
Fer magnétique.

bottom of page