top of page
vigtete03b.jpg
baguettess.jpg
texte-web.jpg

Bois de Berny, une clairière inondée de soleil,
une branche cassée sous le sabot d'un cerf,
et un océan d'incertitudes...

MADRIGANE

Nous sommes au temps des châteaux forts
et des donjons qui surplombent les monts.
Les monts d'Auvergne du côté d'Ambert.
Des forêts à perte de vue, sapins et cyprès
recouvrent les sommets de leur toison verte.
Léonore est bourrelier dans le petit village
de Saint-Éloy-la-Glacière, au pied du Forez.
Il travaille le cuir,  il découpe et coud
des tabliers pour la forge, des besaces
ou des jougs pour atteler les bêtes.
Il travaille le cuir mais aussi le bois.
Il faut dire que la région n'en manque pas,
une bénédiction pour les neiges d'hiver !
Il fabrique ses formes, ses gabarits et outils
sculptant à ses moments libres une chaise,
un manche de faux ou un bâton de marche.
Depuis son enfance, il connaît chacun
et tout le monde dans le village le connaît.
Ce matin, il faut partir rassembler les fagots,
car les frimas du printemps s'attardent.
Avec sa petite carriole et son âne Douchka,
serein, il prend la route du col des fourches.
Faisant des haltes ici et là, à droite, à gauche
pour voir le papillon éclore, l'écureuil bondir,
il en oublierait presque les fagots à ramasser.
Fleurant, les yeux clos, l'odeur du printemps,
il ne voit pas passer le temps, si bien
que c'est à la mi-journée qu'ils atteignent
la forêt de Berny, là où personne ne va.
Laissant Douchka au bord du chemin,
Léonore s'affaire à ramasser le bois sec.
À petits pas, plié en deux, bras en corbeille
il aboutit par hasard à une petite clairière
où un cerf majestueux broute en silence.
Ne voulant pas le déranger ni l'effrayer
il se glisse lentement derrière un rocher.
C'est une bête aux grands bois, magnifique
avec le poitrail tel une fourrure de fauve.
Léonore restera là jusqu'à ce qu'il parte
et profitera pantois de cet instant de grâce.
Cependant, du fin fond du sous-bois
arrive une femme vêtue d'une longue cape.
Le diadème tressé de petites fleurs jaunes
qui s'emmêle dans sa chevelure rousse
lui donne l'air de sortir d'un conte de fées.
Son visage, moucheté de taches de rousseur
inspire la douceur et ses yeux en amande
lui prête un je-ne-sais-quoi de surnaturel.
De plus, à la voir s'approcher de la sorte,
son étrange démarche donne l'impression
qu'elle ne touche pas terre, qu'elle volette.
Caressant de sa main le museau du cerf,
elle lui donne quelques glands à croquer.
Une poignée que l'animal engloutit aussitôt.
Puis, se tournant vivement vers Léonore
dont elle devine la proche présence,
lui demande de sortir céans de sa cache !
Léonore, penaud, tentant de s'enhardir
avec un " bonjour " à demi avalé
bute par mégarde sur une racine déterrée.
Soudain le cerf apeuré fait un bond de côté
arrachant au passage des jeunes noisetiers...
- Qui êtes-vous ? Demande Léonore, agité,
constatant de visu qu'effectivement
son interlocutrice ne touche pas le sol !
Ses pieds effleurent à peine l'herbe du pré.
- On m'appelle Madrigane, chuchote-t-elle
en le regardant droit dans les yeux.
Je suis l'elfe du bois de Berny, ajoute-t-elle
en esquissant un court et léger sourire.
L'air est vaporeux, irisé de soleil.
Nacrées de lumière,  les poussières
flottent en l'air comme des lucioles.
Enfin, devant les yeux ébahis de Léonore,
le cerf et la dame aux pieds qui s'envolent
s'effacent sans crier gare, l'un après l'autre 
comme à travers le reflet chancelant
d'une vitre qui s'ouvre.
Afin de ne point oublier cette histoire
et de s'accrocher à une réalité tangible,
Léonore ramassera une des branches
de noisetier brisée par l'animal
et, de retour à la boutique, dans la soirée,
inspiré par cette improbable entrevue,
en fera ce qui convient le mieux pour
une telle aventure... une baguette magique !

Âme : Améthyste
 

bottom of page