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Un roi qui fait des ricochets,
une reine qui tient les comptes
et un druide en voyage initiatique.

Melchior

Imaginez un instant une rivière limpide

qui glisse au gré de ses galets gris et noirs.

Entendez-vous le clapotis de l'eau ?

Nous voilà rendus dans un autre temps,

une autre contrée, chimérique sans doute.

Au cœur des forêts de pins centenaires

coule la Gaillote, profonde et mélodieuse.

Large d'une bonne centaine de mètres,

ses eaux claires sont comme du verre vivant.

Non loin du bord, semble flotter une île

aux criques ensablées et bordée de roseaux.

Prise en étau entre deux pays distincts,

mais n'appartenant à aucun des deux,

elle pointe vers le ciel l'étendard de son Roi.

L'île de Sylios est un domaine particulier,

un fief hérité d'une lointaine lignée,

qui ne figure sur aucune carte.

On y vient à la rame, souvent à contre courant.

Il y a toujours deux ou trois embarcations

arrimées au ponton d'un côté de la rive

et à une longue chaîne de l'autre.

Le premier pont étant fort loin dans la vallée,

l'homme pressé prendra plutôt le canot

que faire le grand tour par les collines.

Au milieu de l'île se dresse une grande bâtisse

entourée de noisetiers et de quelques cyprès.

C'est un étonnant château tout en pierre de lave

avec deux tours carrées et un clocheton.

C'est ici que demeurent Melchior et Lyse

lui le roi, elle la reine et seuls habitants.

Mais, Melchior connaît du monde, beaucoup.

En effet, il fait payer le passage :

une pièce pour un trajet, deux pour la traversée

et trois pour l'aller et le retour.

Ce sont bonnes monnaies et bonnes rencontres.

Certains habitués s'arrêtent même une heure

pour boire la bolée et parler du beau temps.

Barbu, chevelu, vêtu d'une tunique brodée,

Melchior va et vient d'une rive à l'autre.

Malgré le protocole dû à son rang,

il est avenant, jovial et porte peu sa couronne.

Il aime bricoler ses petites barques,

faire le tour de l'île, lancer le galet plat

pour faire d'interminables ricochets,

et, avec Lyse, préparer l'omelette aux girolles.

Cependant, le souhait le plus cher de Melchior

serait d'inventer des bijoux pour sa douce Lyse :

un diadème d'argent, une couronne ciselée.

Mais, cela reste un rêve et Lyse ressent parfois,

au fond de lui, comme une infinie tristesse.

Quant à Lyse, reine aimante au maintien digne,

elle passe ses journées penchée sur sa harpe

écrivant des rondes pour enfants, des poésies

et, accessoirement, tient les comptes du château.

Coiffée d'un hennin au voile de soie léger,

cheveux longs et lisses, châtains et roux,

elle vous transperce de ses yeux verts.

Bavarde, elle aime rire de bon cœur.

Les fleurs n'ont pas de secret pour elle.

Le long des murs d'enceinte, elle fait pousser

ancolies, tulipes et jonquilles qui viendront

égayer la petite île dès le printemps.

Parmi les passants et les passagers,

Melchior fait la connaissance de Gaspard,

un druide en voyage initiatique, pieds nus,

sans le sou. Sa dernière pièce a servi

à payer l'aller simple sur l'île.

Lyse, qui observe de loin, le nez dans les rosiers,

n'a pas le temps de venir faire connaissance,

que tous deux disparaissent au grenier...

Au bout d'un moment, Lyse aperçoit Melchior

qui sort sur le perron, traverse le chemin,

casse une branche d'arbre, la mesure de la main

et la ramène à Gaspard au fond des mansardes.

Gaspard repartira deux jours plus tard

l'escarcelle remplie de belles pièces d'or.

Lyse découvre dès lors un mari secret :

un roi triste qu'elle ne connaissait pas avant.

Il devient silencieux, taciturne

et semble surtout s'ennuyer de tout.

" Un mal le ronge " pense-t-elle attristée.

Néanmoins, la vie continue. Saison après saison,

les arbres fleurissent et les sequins s'entassent.

Melchior, qui retrouve peu à peu son sourire,

entreprend même de construire de ses mains

un embarcadère pour une barque de plus.

Un beau jour cependant, il y a environ sept ans,

un pont de pierre fut construit à proximité.

Dès lors, plus aucun client, plus personne ne vint.

Aujourd'hui, jarre et bas de laine sont vides,

demain sera peut-être sans souper.

Melchior est effondré et Lyse pleure à la veillée.

Toutefois, Sylios n'est pas une île comme les autres.

De retour du marché, où Lyse a marchandé

trois topinambours et une miche de pain,

elle découvre, en montant dans l'embarcation,

une sacoche oubliée, à l'intérieur de laquelle

se trouve un singulier objet qui ressemble

à une baguette de bois et une lettre signée du roi.

Une lettre où Melchior explique son soudain départ,

son mal-être et son besoin de partir loin, loin de tout.

Puis, à la ligne, en quelques mots italiques,

il présente l'objet comme vraiment magique.

Il dit aussi en conclusion, qu'un client de passage,

orfèvre à la ville lointaine, lui a proposé

de venir quelques temps dans son atelier

pour apprendre le métier de l'or et du plomb.

Et, qu'il espère, sait-on jamais,

pouvoir revenir un jour.

En guise de cadeau d'adieu, il lui laisse

la baguette magique du druide Gaspard,

avouant ne jamais s'en être servi.

La gorge serrée, Lyse voit son avenir s'écrouler.

Se retrouver seule sur l'île au milieu de l'hiver,

dormir dans un lit glacé, vendre ses biens

pour tenir jusqu'au prochain été...

C'est une terrible perspective, insoutenable.

Mais sa nature optimiste reprenant le dessus,

le soir venu, apaisée, Lyse fait le point

tout en examinant la baguette druidique.

Elle s'imagine alors être une fée, la fée de Sylios

transformant un rocher en sac de pièces d'or,

dressant la table d'un souper raffiné aux chandelles.

Bonne chair, bons vins, pains d'épeautre et gâteaux.

Un rêve caressé du coin de l'œil

en pointant la bouilloire, sans résultat.

Puis, prise de mélancolie, Lyse sort sur le perron

pour admirer les premières étoiles.

La pleine lune apparaît derrière les cimes

revêtant la façade d'un drap fantomal.

L'air est doux et le parfum des rosiers

engage Lyse à s'aventurer vers la rivière,

là où les ajoncs longent le bord.

En descendant vers la berge avec l'instrument,

au détour d'un buisson de massette,

elle se sent comme accrochée par la manche

et manque de trébucher gauchement.

À peine remise sur pied qu'une nouvelle fois,

elle se sent attrapée par le poignet

comme si quelqu'un ou quelque fantôme

voulait l'amener quelque part.

" Gaspard n'y est sans doute pas pour rien… "

réalise-t-elle de toute évidence.

Le charme la conduit à l'autre bout de l'île,

jusqu'à cette petite plage de galets noirs.

L'eau est si limpide que l'on peut apercevoir

les alevins bleutés filer entre les rochers.

Là, dans la transparence des reflets,

attirée par des petits scintillements,

Lyse ôte ses sandales et se hasarde dans l'eau.

Tels des éclats de lune qui dansent sur l'onde,

au milieu des galets brillent des pierres violettes.

Apparaît alors devant ses yeux émerveillés

un tapis d'améthystes, petites ou grosses,

lisses ou encore sous leur forme cristalline.

Il y en a de toutes sortes, des violettes,

des pourpres, bleutées ou roses

et visiblement d'une grande pureté.

Les yeux brillants d'émerveillement

Lyse plonge les bras et remonte deux cristaux

de belle taille, l'un lisse, l'autre anguleux.

De quoi remplir le pli de sa jupe de purs joyaux !

Depuis ce jour, une nouvelle vie commence.

Lyse fait commerce de ces pierres précieuses

auprès d'un horloger de la bourgade voisine

et lorsque le bas de laine commence à se vider

Lyse s'achemine tranquillement à la lune montante

vers la Gaillote, tout au bout de l'île...

Maintenant,

j'imagine Melchior revenant des années plus tard,

découvrant Lyse vêtue de soie vermeille

pinçant la harpe au coin du feu, l'air heureuse.

Deux sourires échangés, deux sourires entendus.

Et Lyse racontera l'histoire des améthystes...

Âme : Améthystes

Magnétique.

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