Une fabrique de chandelles au Moyen-Âge,
des retrouvailles, une livraison inattendue
et une étrange bougie qui fume un peu trop.
Jusqu'où les odeurs peuvent-elles nous enivrer ?
L'oliban
Nous sommes au Moyen-Âge, au temps des troubadours,
des chaudrons à bouillons et des lampes à huile.
Lucie est chandelière au moulin "Saint Nicolas",
une fabrique artisanale de bougies et de cierges
pour le compte des écoles et paroisses avoisinantes.
C'est l'hiver, neige et froidure s'infiltrent partout.
Lucie travaille à la confection et au mélange des cires.
Elle blanchit le suif, le teint et parfois y mêle l'encens.
C'est une tâche qu'elle aime et qui la passionne.
Agile au filage de l'étoupe, vive au trempage des cuves,
c'est elle qui mène la cadence et tout le monde suit.
Toujours habillée de son long tablier de jute gris,
silencieuse et sérieuse, elle vadrouille à pas mesurés
d'un coin à l'autre, du bûcher aux étendoirs
en passant par l'échoppe où se tient la vente au détail.
Elle est brune aux yeux noirs, profonds comme la nuit
et elle ne réserve son amitié qu'à peu de confrères.
Hier, Lucie a préparé et testé un nouvel encens.
Barnabé, son ami voyageur, de retour d'Afrique,
lui a ramené de l'oliban doré trouvé chez les berbères.
Il a déposé là deux malles de santal et de myrrhe
ainsi que des sacs de toile fermés à double noeud.
Deux de santal, trois de benjoin, et un de rare oliban.
Après l'avoir ouvert, Lucie y piocha une poignée
de résine semblable à des graviers translucides.
Elle les pila au mortier pour les réduire en farine
et les saupoudra dans le fond de cire encore chaude.
Après une série de trempages successifs, une douzaine,
la chandelle s'épaissira jusqu'au diamètre convenu
puis restera une nuit au séchoir suspendue par la mèche.
Lucie et Barnabé ont moult souvenirs en commun :
les mêmes bancs d'école, la cueillette des pommes,
les baignades à l'étang et les parties de boules de neige.
Sur ce, Lucie saisit une boîte de chandelles, la lui tendit
et tous deux se rendront à l'auberge de Pierrebille,
écharpe sur le nez, sous une nuée de flocons,
partager l'écuelle et la cruche.
Le lendemain s'annonce riche en découvertes olfactives !
Au petit matin Barnabé repart avec son âne, sa roulotte
et disparaît dans le brouillard à l'heure du premier coq.
Puis, la journée se passe comme à l'habitude.
Entre l'arbre du moulin qui grince à chaque tour,
le rangement des essences, le grattage des bobèches
et les saints cierges à préparer pour l'évêché,
Lucie n'a pas trop le temps de monter au séchoir
voir si sa bougie ne s'est pas fendue avec le gel.
Elle doit encore classer et verser l'encens dans les jarres
avant de rentrer chez elle, en bas de la venelle.
Mais après souper, Lucie, soucieuse, retourne à l'atelier
pour s'assurer qu'il ne reste point de braises
tant dans le four que sous le creuset à suif.
Lanterne à bout de bras, le pied mal assuré
elle file par le bourg et prenant garde au perfide verglas
elle traverse le vieux pont de pierre en se demandant
pourquoi Barnabé n'est-il pas venu la saluer en partant.
Tout est blanc de neige.
Passé le seuil, Il flotte une plaisante odeur de cire
un peu capiteuse, à la fois grasse et acide.
Lucie aime les senteurs de cire et d'encens.
Elle trouve qu'elles se mélangent à la bonne heure !
Descendant du séchoir avec la nouvelle bougie,
elle l'enfiche aussitôt dans le culot d'un bougeoir.
Puis, fébrile, elle bat le briquet et la flamme s'allume.
Tout de suite, l'arôme de l'oliban effleure son nez
et ravit ses narines. Lucie est aux anges.
Puis, attentivement, elle la laisse se consumer un instant
histoire de faire couler la cire qui déborde.
Mais c'est au moment de souffler pour l'éteindre
qu'un évenement fort étrange se produit.
Et ce, en dehors de toute réalité...
Sitôt éteinte, les fins filets de fumée blanche
s'enroulent au gré de l'air qui s'écoule.
Ce sont des volutes gracieuses et transparentes
qui serpentent les unes derrière les autres.
Jusque là rien de troublant sauf que...
Du tréfonds de l'effluve apparaît soudain
un visage, un spectre grimaçant
qui s'anime comme criant de douleur !
Aucun son, aucun cri ne sort de sa bouche.
Dans les filasses de fumée se dessinent
ses yeux de fous et l'expression de sa terreur.
Voyant cela, Lucie fait un pas en arrière.
D'instinct, elle balaye l'air d'un geste impétueux
et reste paralysée d'effroi, immobile, l'œil vide.
Enfin, la fumée finit par se dissipper.
Reprenant ses esprits peu à peu,
sidérée mais poussée par sa curiosité,
Lucie la rallume et d'un sifflet court et précis
l'éteint à nouveau.
Là, dans les volutes qui se croisent et s'enlacent
surgit une tête cornue, un diable sorti des enfers !
Ses doigts crochus venant jusqu'à toucher son bras,
Lucie bondit d'un coup en hurlant d'épouvante.
Saisissant sur-le-champ le souffleur à main,
elle se retourne les yeux embués de peur
et anéantit l'horrible vision d'un coup de vent !
Le monstre se disloquera en bribes de fumée
laissant dans l'air un parfum soutenu d'oliban !
Une vision infernale qui, au Moyen-Âge,
mène le témoin qui bavarde aux pires tracas.
N'oublions pas qu'en ces heures carolingiennes
on brûle les sorcières pour moins que ça.
Lucie coupera la mèche de cette maudite bougie
afin que personne ne soit tenté de l'allumer.
La chandelle finira au fond d'un tiroir oublié,
la mèche dans une enveloppe cachetée
et Lucie n'en parlera à personne...
Mais voilà, là est la question :
Était-ce le fait d'un mauvais étourdissement
dû à l'odeur de l'encens ou était-ce le fait
d'une vraie diablerie due à l'oliban des berbères ?
Âme : mèche de la bougie
Fer magnétique.